Le développeur togolais Wisdom D’Almeida débarque chez Google. Depuis quelques temps, il fait partie des développeurs du géant de la Silicon Valley. Après avoir obtenu une licence professionnelle en génie logiciel au Centre d’Informatique et de Calcul (CIC) de l’Université de Lomé, il s’est lancé dans des études de Master en Inde. Wisdom évolue comme chercheur en Intelligence Artificielle et spécialiste en Deep Learning. Dans une interview exclusive accordée à Tech en Afrique, il nous explique comment son ascension a été possible.
Comment te sens-tu à Google ?
Je suis fier d’être l’un des rares Africains ici et à chaque occasion que j’ai devant une foule, à une conférence en interne ou à un événement public, la première des choses que je fais est de dire fièrement que je suis Togolais ayant étudié à l’Université de Lomé. La partie la plus drôle, c’est lorsqu’ils sortent tous leurs smartphones pour googliser « Togo » et « Université de Lomé ». Il ne me reste plus qu’à entonner notre hymne national les prochaines fois [rire].
Du CIC à Google : comment cela est-il possible ?
C’est vrai que dit comme cela, ça fait un peu flipper. Mais en réalité, ça n’a pas été si direct. Notre formation au CIC, bien que nous rendant compétitifs dans la sous-région, en Afrique et en dehors de l’Afrique, ne nous permet pas encore de nous mesurer à des étudiants de Stanford, du MIT, de l’UC Berkeley ou d’Harvard, la cible préférée des grandes compagnies telles que Google. Il faut donc trouver une autre manière de se faire remarquer et de prouver que, dans les mêmes conditions, on est capable de faire aussi bien, voire mieux qu’eux.
C’est donc tout naturellement que j’ai poursuivi des études supérieures en Inde pour approfondir mes connaissances en Informatique et, surtout, pour découvrir de nouvelles spécialités. J’ai également eu la chance de remporter certains concours nationaux (en Inde) et internationaux auxquels j’ai participés par simple curiosité et pour le désir d’apprendre. C’est comme cela que j’ai découvert l’Intelligence Artificielle et que j’ai commencé à l’appliquer à des domaines non-traditionnels comme la santé, le crime et le comportement humain, pour le bien de ma communauté. Mes publications scientifiques ont attiré l’attention de grands chercheurs partout dans le monde et des compagnies comme IBM ou Google.
C’est donc le concours de plusieurs circonstances qui m’a permis d’être ici aujourd’hui et, en résumé, j’ai juste eu à construire sur la fondation assez solide que le CIC m’a donnée, surtout les bases en mathématiques avancées et en programmation.
Qu’avez-vous dans l’ambiance de travail à SiliconValley qui manque en Afrique par exemple ?
Je n’ai jamais été un grand fan de l’assiduité au travail (venir à 8h et rentrer à 16h chaque jour par exemple) parce que ce n’est pas dans de telles conditions que je suis au top de ma productivité. A SiliconValley, ce genre de formalités n’existe pas, pour le bien de tous. Je sais qu’il y a beaucoup d’entreprises chez nous qui enregistrent les heures d’arrivée et de départ des employés chaque jour, comme mesure de productivité. La réalité, c’est qu’un employé fatigué et somnolent produit en 8 heures ce qu’il produirait en 4 heures s’il était en forme, et je trouve qu’il y a bien d’autres manières de rendre nos employés plus efficaces que de les conditionner à des horaires précises de travail. A Google par exemple, je viens au boulot quand je veux et si je le veux, à condition que je soumette à temps le travail qui m’est assigné. Y a-t-il une autre définition de productivité que travail bien fait et livré dans les délais ? Bien que nos cultures soient bien différentes, je pense que notre workforce en Afrique bénéficierait d’un tel changement !
Je pense aussi que comme à SiliconValley, nous devons éradiquer toute forme de discrimination dans le cadre du travail, dont la plus commune selon mon expérience, la discrimination d’âge ! Je me souviens avoir été privé d’opportunités dans mon pays car jugé trop jeune. Ici, l’âge, le teint, la religion, la nationalité, etc. ne comptent pas dans le monde du travail ; et en tant qu’employé, je peux poursuivre en justice quiconque demande mon âge dans un cadre professionnel, lorsque je juge le contexte inapproprié. Nous devons donner à nos jeunes l’opportunité de faire leurs preuves lorsqu’ils le méritent, un point c’est tout.
Est-ce à dire que vous êtes numériquement saint ?
Même pas ! Vous serez surpris d’entendre que j’ai des collègues à Google qui étaient fleuristes, certains, médecins. Au-delà des compétences techniques, Google s’intéresse aux gens curieux et socialement épanouis, qui ont une passion propre et une voix pour la faire résonner ; des individus de background non traditionnel et, plus que tout, qui ne pensent pas qu’à eux-mêmes.
Conseils à nos frères et sœurs quant à la gestion de leurs images sur Internet
D’une manière générale, je dirai à mes frères et sœurs Africains : reste toi-même et ne pense pas à trop soigner ton image, sans toutefois déconner (tenir des propos racistes ou insulter les personnalités politiques constituent un red flag). Les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter constituent un canal pour faire découvrir à tes futurs recruteurs ta personnalité et tes valeurs. Veille à garder ton image originale mais propre, et sache que c’est tout à fait ok de ne pas être actif sur les réseaux sociaux.
Si tu es un développeur, tu dois avoir un compte GitHub. La plupart des compagnies en technologie, bien avant même de penser à t’offrir des interviews, voudront avoir une idée de ce que tu écris comme code. En rendant open source tes projets sur GitHub, non seulement tu permets à tout le monde de découvrir tes compétences algorithmiques mais, en bonus, tu démontres de l’empathie – puisqu’en rendant ton code public tu permets à d’autres d’utiliser gratuitement le fruit de ton dur labeur.
A part cela, je pense qu’il est important de développer de bonnes connexions via LinkedIn – c’est fou comment les Américains accordent de l’importance à qui tu connais et qui peut te recommander.
Quelque chose à ajouter ?
C’est bien de travailler pour une grande compagnie, mais on n’a pas forcément besoin de cela pour avoir de l’impact. C’est encore mieux quand le fruit de son travail bénéficie à la communauté dans laquelle l’on vit. Dans mon cas, l’Intelligence Artificielle m’a permis de combattre les maladies graves en les détectant très tôt grâce au Deep Learning ; de combattre le crime en Inde en prédisant les assauts criminels avant même qu’ils ne se produisent ; et de tacler des problèmes scientifiques réputés difficiles, comme le Human Activity Recognition. Confronter les problèmes complexes de notre société à travers la technologie est une vocation bien plus honorable, selon moi, que travailler dans une compagnie qui ne recrute qu’1% de ses postulants. Moi, je suis un chercheur en Deep Learning, à Google ou pas.
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