On a rencontré Gwenn Germain, le futur génie de l’animation française

En à peine un an et demi, Gwenn Germain s’est taillé une place de choix dans le monde de l’animation depuis la sortie remarquée de son court-métrage aux accents de Ghibli. Le jeune homme courtisé par les plus grands studios apprend encore comment gérer sa soudaine notoriété.«  Hey, salut Gwenn ! Je viens de tomber sur ton court-métrage en errant sur le net, c’est complètement fou ! On peut se voir pour en parler ?  » Le premier contact avec Gwenn Germain, via la plateforme de vidéos en ligne Vimeo, a été très simple. Sa réponse aussi : « Salut Clément ! Je suis sur Paris la semaine prochaine, on peut se capter à ce moment-là  ». Parfait.
Quelques jours plus tard, c’est l’heure du rendez-vous à Châtelet, au cœur de la capitale. Veste en cuir, pantalon cramoisi et sac de voyage sur l’épaule, le jeune homme originaire de Guérande attend patiemment près de la sortie de métro. Il nous mène dans un bar non loin de là, en expliquant : « Je connais un peu le coin, mon école était proche d’ici   ».
Un projet de fin d’étude qui affole Internet
À peine installé, l’étudiant en école d’animation commence à raconter la folie qu’il a connu depuis la sortie de son projet de fin d’étude au début du mois d’avril 2015. Intitulé Celles et Ceux des Cimes et Cieux, son court-métrage, un conte onirique narrant l’aventure d’un jeune garçon dans les profondeurs de la forêt, a mis Internet en émoi.

L’intéressé en est le premier surpris : « Je ne m’y attendais pas du tout, c’était dingue ! Toutes ces offres, 30 coups de fil par jour, des centaines de propositions… J’étais convaincu que mon truc, c’était de la merde. C’est le syndrome d’avoir la tête dans le guidon et de ne voir que les défauts. Maintenant avec le recul, ça va, je me dis que c’est cool quand même !  »

Gwenn Germain est félicité par Syd Mead, le designer légendaire de Blade Runner

Preuve en est, il remporte le premier prix au festival d’animation Spark, basé au Canada, le seul auquel il a accepté de concourir (à distance). Pas forcément à l’aise quand il s’agit de parler de son travail — « Je préfère que les gens regardent et jugent par eux-mêmes  » – il s’est laissé tenter par le concours de Vancouver.
Il faut dire qu’il lui était difficile de refuser après les louanges transmis par la société organisatrice : « Spark Animation m’a transféré un message de Syd Mead, le boss américain du design futuriste [Tron, Blade Runner, Star Trek…]. Il disait : ‘Vous féliciterez ce garçon de ma part et de celle de toute mon équipe’. C’était complètement fou ! »
Gwenn est plutôt adepte de la discrétion : « Si je devais avoir une politique de communication, ce serait de ne rien dire du tout et de ne jamais apparaître sur les plateaux. Pas dans l’optique de faire comme les Daft Punk, c’est juste que je suis incapable de faire ça, je dirais trop de conneries ! »
Un grand quotidien national et une chaîne cryptée ont d’ailleurs fait les frais de ses refus l’an passé. Pourtant, ce soir de novembre, il est devant moi et il en rigole en toute modestie : « Pour l’instant, je ne suis rien, j’ai juste fait un court-métrage. Si je suis amené à réaliser un film, les gens pourraient commencer à en parler vu que je suis un Français qui fait de l’animation, c’est suffisamment rare… Mais être un personnage public, c’est un stress supplémentaire inutile.”
Planche préparatoire de Gwenn Germain pour Celles et Ceux des Cimes et Cieux
« Je suis une merde, ça ne marchera pas »
Au détour d’une cacahuète rapidement avalée et d’une lampée de Guinness, le Breton retrace brièvement son parcours. Très mauvais élève, sans ambition, Gwenn Germain patauge à l’école. Ses passions, dont le BMX, ne sont pas de celles qu’il s’imagine suffisantes pour espérer en tirer une carrière professionnelle. Il se lance dans un bac STI mécanique option productique à Saint-Nazaire, « un truc où on travaille sur des machines à commande numérique  », mais comprend rapidement que cela n’est pas fait pour lui.
Trop lunatique, pas assez organisé ni matheux, il commence à décrocher et bascule dans un état dépressif jusqu’au jour où sa mère l’inscrit de force à un stage de design de sept jours à Créapole, une école parisienne : « Je dessinais déjà mais je n’avais jamais pensé pouvoir en faire mon métier. Je lui ai dit : ‘Laisse tomber, je suis une merde, ça ne marchera pas’. Et ça m’a trop plu ! »
Reboosté, le jeune homme tient bon et décroche son bac, la condition indispensable pour pouvoir intégrer cette structure, avant de signer pour 5 ans à Créapole dans la branche Cinéma d’animation. En deuxième année, il hésite à tenter les Gobelins, la prestigieuse école de l’image, avant de renoncer face à son aspect ultra-compétitif qu’il ne se sent pas en mesure d’affronter.
Il opte pour la 2D, qui lui permet d’être « plus artistique et anarchique  » dans son travail. En fin de troisième année, Gwenn présente Bococo, son premier véritable court-métrage.

Produit de A à Z par ses soins, il raconte l’histoire de deux pigeons — l’un intelligent et l’autre stupide — confrontés à la mort de leur maîtresse et à l’incendie de leur appartement. Cette première réalisation est l’occasion pour le gamin de Guérande de cerner ses qualités et ses défauts, mais surtout d’appréhender l’exercice pour son projet de fin d’étude.
Deux ans plus tard, pour Celles et Ceux des Cimes et Cieux,  il fait rapidement le choix de la bande-annonce : « Ça me permet à la fois de faire de la mise en scène, du character design, du background design et puis aussi de faire les plans que je veux, sans avoir forcément de suite logique.  »
Ses influences : Miyazaki, Mœbius, Grimault
Le tour de force du Français tient à la transfiguration de ses influences dans une vidéo de 2 minutes et 40 secondes qui fait encore les beaux jours des « Staff Picks », les vidéos préférées de l’équipe Vimeo. Ses inspirations multiples parlent au plus grand nombre. Parmi elles, Syd Mead donc, mais aussi Jean Giraud alias Mœbius, l’un des pères fondateurs de la bande dessinée européenne, ou encore Hayao Miyazaki, papa des studios Ghibli — Mon Voisin Totoro, Le Voyage de Chihiro…– et fer de lance de l’animation japonaise.
Des références cohérentes mixant aventure, poésie et science-fiction qui voient vite Gwenn présenté comme « le nouveau Miyazaki français », bien aidé en ce sens par la musique de Joe Hisaishi. « Ce n’était pas mon but d’être Ghibli à mort », explique-t-il pourtant. « Je voulais faire un truc de la qualité de Ghibli et je n’ai pas réussi, j’ai juste feinté au final. Dans mon court, les villes sont beaucoup plus européennes. Celle sous le dôme, par exemple, c’est une reprise du Louvre parce que j’habitais à côté à l’époque.  »
Planche préparatoire de Gwenn Germain pour Celles et Ceux des Cimes et Cieux
Les reproches sur sa trop grande ressemblance avec Miyazaki — qui l’amène à se remettre en question — sont d’autant plus ironiques que « GG » n’est pas spécialement fan du Japon. Il adore surtout le savoir-faire narratif propre aux nippons, comme la subtilité des codes et les symboliques :  «  La mentalité japonaise me parle. Les Américains, avec Disney par exemple, font des dessins animés familiaux alors qu’au Japon tu peux avoir des films comme Ghost in The Shell, auxquels tu ne comprends rien si tu es gamin. Mais si  tu es adulte non plus, remarque ! »
Sa référence indétrônable est française : il s’agit de Paul Grimault, le célèbre réalisateur du dessin animé Le Roi et l’oiseau, sorti en 1979. Le jeune artiste ne tarit pas d’éloges au sujet de cette œuvre plutôt contemplative :  « C‘est le film le plus poétique jamais réalisé. Paul Grimault a su mettre en images les textes de Jacques Prévert, ce sont les pionniers de l’animation. Ils n’avaient pas les notions du volume, ils n’avaient pas toutes les règles mais on oublie vite le côté technique.  »
Reste que les goûts assumés de Gwenn Germain lui ont valu la reconnaissance d’un des animateurs du studio Ghibli ainsi qu’un message de Cécile Corbel, la harpiste auteure de la musique d’Arrietty, le petit monde des chapardeurs. La musicienne lui a demandé l’autorisation d’utiliser son court-métrage pour pouvoir jouer dessus pendant l’un de ses concerts.
Des louanges forcément appréciés par Gwenn, même s’il ne s’enflamme pas pour autant : « C’était cool, ça m’a fait plaisir. Par contre je serais pour le moment incapable de bosser avec eux, parce que ça impliquerait de travailler exactement comme je l’ai fait [sur Celles et Ceux des cimes et cieux] et c’est impossible, j’ai pas un rythme japonais !  »
18 heures de travail par jour et 10 kilos en plus
C’est la contrepartie de la qualité du teaser réalisé par le jeune homme. Pendant 5 mois — dont plus 6 semaines de pré-production à développer le scénario — Gwenn s’investit entièrement et bosse comme jamais. Les yeux rivés sur son écran, il enchaîne les créneaux « hardcore  » non-stop, au rythme de 18 heures par jour, week-end inclus.
Il prend 10 kilos : « Je n’ai jamais vécu un truc comme ça et je ne pense pas que beaucoup de personnes ont vécu ça. J’avais beaucoup de stress avec un prêt étudiant à rembourser et je me mettais aussi la pression parce que j’avais envie plus que tout de travailler dans ce milieu-là. J’ai voulu me donner toutes les chances de réussir donc je me suis défoncé mais c’était à la limite du débile !  »
Capture d’écran de Celles et Ceux des Cimes et Cieux
Si la majorité des commentaires reste élogieuse, il reçoit quand même quelques critiques qui remettent en cause la production d’un tel court-métrage en si peu de temps. Des remarques particulièrement frustrantes au vu du temps et de l’énergie investis, comme : « Ça c’est du plagiat, ça c’est de la rotoscopie…  »
Gwenn Germain se souvient précisément de son ressenti à la lecture de ces réactions  : «  Il y a eu un côté bad buzz pas cool à vivre. Chaque commentaire positif c’est une petite caresse, un commentaire négatif c’est un coup de couteau. Tu peux mettre autant de caresses que tu veux sur le coup de couteau, ça ne le fera pas disparaître. C’était violent. Si t’es fragile d’esprit… On voit ça comme un rêve mais il y a tout un côté ultra-négatif que personne ne voit, ne veut voir et ne comprend.  »
Et vous n’êtes évidemment pas aidé quand vous avez une tendance à la solitude et au repli sur vous-même. Agoraphobe, le Breton vit aujourd’hui un peu à l’écart du tumulte de la ville : « Si j’ai fait tout ça, je crois que c’était dans l’espoir de me la couler douce un jour et bosser sur des projets dont j’ai envie. Et c’est un peu ce qui se passe : j’habite à Fontainebleau alors que globalement tous mes potes dans l’animation sont obligés de vivre à Paris pour être proches des studios. J’ai eu la chance de pouvoir négocier et travailler de chez moi parce que je ne pouvais plus vivre à Paris.  »

Un an et et demi plus tard, la vie de Gwenn Germain a bien changé

Tandis que le bar se remplit, le suspense ne fait que s’accentuer. Qu’a-t-il pu bien faire au cours de l’année et demi écoulée depuis la sortie de son court-métrage ? Ses nouveaux projets sont-ils à la hauteur des qualités incroyables entrevues le temps d’un teaser ?
Beaucoup de choses ont changé pour Gwenn Germain. Après avoir obtenu son diplôme, il réalise un stage d’un mois dans une agence à Paris mais, croulant très vite sous les propositions, il doit arrêter. Pendant quatre mois, il fait un break et rencontre tout un tas de personnalités du monde de l’animation, une tournée idéale pour construire son réseau.
C’est à ce moment-là que, sur les conseils d’un scénariste de son école, le Français décide de prendre un agent : « Au début, j’étais en train de dire oui à tout et puis je sortais d’une période ultra-violente en terme de boulot, il fallait que je m’arrête et essaie de déléguer un peu  ».
Les propositions improbables s’enchaînent, comme une pub avec un énorme studio russe pour promouvoir une marque de poulet, le tout avec des budgets colossaux à la clé. Proposition déclinée par le Breton, plus habitué aux parties de pêche. Une tournée américaine s’enclenche ensuite et le Français visite plusieurs studios intéressés par son talent.
Capture d’écran de Celles et Ceux des Cimes et Cieux
Gwenn Germain finit par accepter un projet : « J’ai commencé à travailler, on m’a contacté pour le film sur lequel je suis en ce moment, un super truc ! Je n’ai absolument pas le droit d’en parler mais ça va me mettre un bon petit pied dedans, avec un réalisateur reconnu. Je fais ça d’ici avec une équipe en France et je dirige aussi quelques personnes à Londres. C’est ce qui m’occupe à plein temps.  »
Cimes et Cieux, bientôt la série ?
En parallèle, un gros studio américain en concurrence avec Netflix a racheté le court-métrage de Gwenn afin de le développer en série. Trop tard, donc, pour les fans de Celles et Ceux qui espéraient lancer un Kickstarter et produire le long-métrage…  « C’est vrai que j’avais déjà le scénario pour le long mais ce n’était pas un rêve pour autant. J’étais juste dans l’optique d’avoir mon master, je n’espérais pas que ça aille au-delà d’un simple travail scolaire.
Il poursuit : « À la base, je me suis dit  que j’allais galérer après l’école mais au final ça a été tout l’inverse. Je me suis dit aussi que j’avais besoin de sous pour potentiellement faire autre chose et développer d’autres idées.  » 
Le jeune réalisateur veille cependant sur sa progéniture comme consultant, en lisant les scénarios et en donnant son point de vue sur la direction prise. Des conférences dans différentes écoles viennent également remplir un agenda déjà bien rempli. Sans parler d’un projet de bandes dessinées interactives avec gameplay, micro-énigmes ou vidéos qui est en cours de développement.
Gwenn Germain puise dans ses vastes connaissances selon les formats :  « Les influences sont différentes en fonction des projets. L’histoire que je suis en train de faire pour la BD tire plus vers  Ghost in the Shell, Satoshi Kon, un peu Disney aussi. » La thématique principale ? La descente aux enfers d’un homme…

Dans son équipe actuelle, on trouve des artistes passés par Seul sur Mars ou La Tortue rouge 

Avant de partir, Gwenn confie son incompréhension face à tout ce qui lui arrive depuis 16 mois : « C’est vraiment fou, en ce moment je vois comment des équipes hollywoodiennes bossent, c’est juste trop cool ! Dans l’équipe, on a des mecs qui ont eu l’Oscar des effets spéciaux pour Seul sur Mars. Il y en a un qui a bossé sur La Tortue rouge, il a 35 ans, je le dirige, tout va bien ! C’est n’importe quoi…  »
Mais le naturel pessimiste du Breton revient toujours à la charge : « Je me dis que dans cinq ans je serai probablement en train de récurer les toilettes dans un bar… Je préfère voir les choses comme ça, c’est plus sécurisant.  » Mais pas forcément plus réaliste.
En attendant, le Français poursuit son rêve : se lancer dans la réalisation. Lui qui n’a jamais vraiment cru que c’était possible y croit désormais de plus en plus : « Rares sont les gens dans ce milieu qui se disent qu’ils pourront réaliser un jour, et je me dis que ça peut m’arriver. Ce serait chouette.  » Plutôt chouette en effet. 

Partager sur les réseaux sociaux


Source: Numerama

Articles similaires

Laisser un commentaire