Cela fait un mois que nous testons une pré-version de Shadow dans le plus grand secret. Alors que la bêta publique se profile, c’est le moment de sortir de l’ombre.Il y a quelques mois, nous nous rendions dans les bureaux de Shadow avec une vague idée de ce que nous allions y voir. On nous avait parlé d’un ordinateur de gamer dans le cloud, capable de faire passer notre bonne vieille tour pour de l’histoire ancienne. Bien entendu, nous étions sceptiques : quel joueur ne le serait pas ? Et puis la démonstration a eu lieu et Shadow nous a plusieurs fois laissés bouche bée. Nous avons joué à des jeux multijoueur en ligne sur une machine distante comme si elle était accrochée à notre écran.
Nous sommes sortis avec un sourire aux lèvres non dissimulé, dans la mesure où nous nous sentions proches de quelque chose de révolutionnaire sur un marché où la concurrence est soit moins jolie, soit plus chère et dans tous les cas moins réactive. Mais bien évidemment, des questions demeuraient sans réponse. Qu’est-ce que cela donnerait une fois installé chez nous, avec une connexion fibre lambda ? Comment cela serait-il géré par les différents opérateurs au niveau de la latence ? Allait-on pouvoir se passer de notre PC définitivement ? Autant d’interrogations qui ne pouvaient avoir qu’une réponse : un test pratique.
Ce qui facilite les choses avec Shadow, c’est que son CEO est un peu dingue. Emmanuel Freund, qui sera avec nous et devant vous ce soir pour répondre à toutes les questions techniques que vous vous posez, n’a absolument peur de rien. C’est le genre de patron qui en dit trop, relève tous les défis les plus farfelus au lieu d’écouter les consignes de son responsable de communication et ne dit jamais non quand on lui propose quelque chose qui titille sa curiosité d’ingénieur. Quand nous avons lui avons proposé de faire ce test alors même que rien n’était fini, il a tout de suite dit oui avant de nous faire lire la liste des choses qui ne marchaient pas encore — même pas peur.
Pour que les conditions du test soient réalistes, Shadow a été installé à notre domicile plutôt qu’au bureau où la fibre est une connexion d’entreprise, avec un débit astronomique. Chez nous, sur une offre commerciale de Bouygues, c’est une autre histoire. Il est aussi difficile de parler de boîtier tant ce que nous a amené Emmanuel est à l’état de prototype : il s’agit en fait d’un PCB avec un gros ventilateur et quelques connecteurs. Si vous voulez l’allumer, il faut le brancher. Pour l’éteindre ? Le débrancher. Le bouton on/off ne marche pas encore.
Mais qu’importe, après tout, du hardware : on parle ici d’un ordinateur dans le cloud. Ce qui compte, ce sont les quelques prises pour brancher vos périphériques et votre écran (ici un 27 pouces Full HD) et bien entendu, la prise pour le port Ethernet. Une fois que c’est fait Shadow boot. Et en quelques secondes, une vingtaine pour l’instant, vous vous retrouvez sur un bureau avec Windows 10.
Déroutant de normalité
Profil gamer
Les premières minutes sont déroutantes de… normalité. En fait, on s’attendait à quelque chose de différent, mais on se surprend à ne pas voir de différence. On a débranché un écran relié à un ordinateur haut de gamme de fin 2016 et on l’a branché à un bout de plastique dénudé. Et pourtant, le feeling est le même. La souris bouge au millimètre près après les ajustements de rigueur pour retrouver sa sensibilité et les contrôles au clavier sont hyper réactifs.
La première surprise vient évidemment des téléchargements, car quelle que soit votre connexion, l’ordinateur sur lequel vous exécutez vos programmes est dans un data center, équipé d’une fibre… puissante. Sur les serveurs de Steam, de Blizzard ou d’Electronic Arts, vous téléchargez vos jeux à un peu plus de 100 mo/s. Autant dire que vous aurez à peine le temps de vous faire un café pour télécharger un titre de 20 Go. À l’heure où les jeux sont de plus en plus lourds, cette instantanéité séduit, comme le côté toujours allumé de la machine, même quand vous éteignez votre Shadow.
Sur Shadow, nous avons testé pendant de très longues heures plusieurs titres à la mode, dans différents styles. Nous avons commencé par le célèbre Overwatch que nous adorons toujours. Le jeu de Blizzard n’est pas très gourmand en ressource mais vu qu’il est entièrement multijoueur et qu’il joue beaucoup sur les timings des sorts des différents héros, la réactivité est nécessaire.
Comme nous nous y attendions, nous n’avons pas vu la différence et, une fois en jeu, il a été plutôt impossible de distinguer que nous ne jouions pas sur un ordinateur en local. Après plusieurs heures de jeu, Shadow ne bronche pas — si ce n’est son ventilateur qui arrive à être encore plus bruyant que celui des nombreux ventilateurs de notre boîtier. Un souci qui devrait être réglé sur les versions boîte.
Pour rester chez Blizzard, nous avons testé Heroes of the Storm, pendant un très long week-end pluvieux. Là encore, si les graphismes ne sont pas le point fort du titre, les timings sont importants et peuvent vous sauver d’un mauvais combat. En équipe, nous avons pris un véritable plaisir à jouer pendant plusieurs heures. Le Shadow a, lui, joué son rôle : il s’est complètement effacé, laissant le plaisir du jeu en premier plan. C’est pendant cette session que nous avons constaté deux autres soucis qui seront réglés d’ici la bêta : impossible de brancher un micro en prise jack pour chatter sur Discord et nous avons eu des microcoupures de son qui n’étaient pas liées à des freezes de la vidéo. Désagréable, mais pas pénalisant.
Nous avons ensuite lancé Battlefield 1, pour tirer un peu Shadow dans ses retranchements. C’était encore un plaisir de voir le jeu se télécharger à la vitesse de l’éclair sur Origin. En jeu, le feeling est exceptionnel. Nous avons évidemment poussé tout à fond pour voir si cela aurait un impact sur la latence : niet. Cela dit, c’est sur BF1 que nous avons constaté une limite non pas du côté du GPU, mais bien du CPU, un poil à la traîne dans sa configuration triple cœurs — jusqu’à 6 cœurs peuvent être alloués par client. Les effets de fumée et de gaz ralentissaient malheureusement l’ensemble, ce qui, cette fois, était plutôt désagréable sans être pénalisant. Nous avions aussi poussé tous les paramètres à fond. Peut-être qu’un peu plus de clémence de notre côté aurait réglé le souci d’un service encore en alpha.
Cela dit, même Battlefield 1 était une expérience confortable. Les ralentissements constatés n’ont pas eu lieu à chaque fois que nous nous trouvions dans le feu de l’action, seulement quelques fois, de temps à autres. Dès lors, on peut dire que le pari est sacrément réussi pour Shadow côté gaming. Nous avons pu utiliser l’ordinateur dans le cloud pendant 3 week-ends et de nombreuses soirées et jamais nous avons effleuré l’idée de rebrancher notre gros PC. Ce qui signifie que Shadow fonctionne.
Les soucis
Du coup, même en preview, Shadow impressionne. Mais il reste des dizaines de « mais » sur lesquels nous avons été cléments car il s’agissait d’une alpha et d’un test un peu fou lancé à la startup qui n’était pas encore vraiment prête. Pour un produit commercial, il faudra qu’ils soient corrigés — et les plus gros devraient l’être d’ici l’ouverture de la bêta.
Au rang des désagréments, nous avons cité des coupures sporadiques du son… pas gênantes ? Que diriez-vous alors d’une coupure totale du son ? C’est ce qui est arrivé à Shadow il y a quelques jours à cause, nous a-t-on dit, d’une nouvelle protection anti DDoS un poil zélée qui s’est mise à filtrer tout le flux audio, le considérant comme une attaque. Solution provisoire : utiliser un micro-casque USB qui passe par un autre encapsuleur et qui fonctionne.
Ensuite, sur le bureau, notre configuration en qualité medium montrait vite ses limites, notamment au niveau des polices. L’encodage vidéo faisait que toutes les polices bavaient un poil, comme si leur couleur débordait hors de leur forme lisse. Pour régler cela, il aurait fallu passer en high. Problème : jusqu’à très récemment, la configuration high consommait jusqu’à 960 Mb/s de bande passante. Oui, c’est un beaucoup. Shadow travaille à résoudre ce souci mais souhaite également que le rendu high soit appliqué à toutes les configurations lors des tâches de bureautique, même quand le jeu est en medium. Cela devrait être salvateur.
Autre vanne d’utilisateur d’un ordinateur dans le cloud : essayer de lancer des fichiers sur son réseau local et s’apercevoir qu’on se connecte au réseau local… de la machine distante. Eh oui, adieu AirPlay et autres joyeuseries. Normalement, le réseau local devrait être reconnu dans la version finale.
À cela s’ajoutent de petites déconvenues auxquelles l’équipe s’efforce de remédier en temps réel. Par exemple, comme vous en avez pris l’habitude, vous allez éteindre Windows pour éteindre votre Shadow. Et quand vous rallumerez votre Shadow, qui n’est point d’accès à une machine distante… écran noir. C’était pourtant écrit sur la notice de la preview : « ne jamais éteindre l’ordinateur ». Même à 23h, pour l’instant, vous trouverez quelqu’un de la petite équipe française pour faire le reboot à votre place.
On se demande encore, bien entendu, comment les serveurs de Shadow se comporteront avec la montée en charge, comment toute l’infrastructure résistera à des gamers qui auront tous envie de jouer en même temps, comment l’entreprise gèrera la première crise technique (il y en aura forcément une) qui rendra inaccessible pendant quelques heures les comptes de leurs clients qui en avaient fait leur ordinateur principal. Ces doutes sont légitimes.
Ce que l’on voit de Shadow fin 2016 nous rassure
Et pourtant, ce que l’on voit de Shadow nous rassure. Que ce soit la volonté de transparence totale et l’esprit testeur du fondateur, la qualité des équipes de dev, les soutiens qui croient au projet (plusieurs millions ont été levés sans même qu’il y ait un concept sur la table) et surtout, la pratique, qui nous montre que Shadow fonctionne… bref, tout nous porte à croire que Shadow a un bel avenir. D’ailleurs, nous avons rapidement vu les possibilités de la bête sur une TV 4K, qui lançait Shadow uniquement depuis l’application Android : la qualité graphique des titres, jouables à la manette, enterre les consoles de dernière génération… et le cross device est de la partie. Shadow se lance sur TV, sur tablette, sur smartphone en 4G, sans interruption de votre partie.
Les possibilités d’un ordinateur dans le cloud de ce genre sont donc énormes et si Shadow réussit son pari — qui passera aussi par une communication bien précise pour décrire les possibilités de l’engin –, alors ces Français ont un boulevard devant eux. La concurrence n’atteint pas encore leur excellence mais les Américains de Nvidia ou de Liquid Sky ont une grosse puissance de frappe et sont capables de réagir vite.
Fin 2016, Shadow a encore des zones d’ombres, mais le projet a tout le potentiel pour briller.
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Source: Numerama